19 mars 2018
Il s’agit d’une patiente de 65 ans avec des antécédents d’HTA bien équilibrée sous sartan, victime d’un AVP, véhicule léger contre un arbre. À la prise en charge par le SAMU, la patiente est Glasgow 3, hypotherme à 34°5 C, hypotendue à 90/60 mmHg. Les pupilles sont en myosis réactif avec une légère anisocorie droite. La patiente est intubée, reçoit une expansion volémique de 2,5 l de cristalloïdes et est mise sous noradrénaline jusqu’à la dose de 2,5 mg/h. À l’arrivée sur l’aire d’urgence, la patiente reste hypotendue malgré la réanimation entreprise. La FAST échographie complétée par un Doppler trans-crânien (DTC) va mettre en évidence un épanchement pleural droit, un épanchement intrabdominal et des vélocités asymétriques au niveau des 2 artères cérébrales moyennes (ACM) :
ACM droite
ACM gauche
L’asymétrie des vélocités systoliques associée à une diminution de l’IP fait suspecter une dissection carotidienne droite qui sera confirmée sur l’angioscanner cérébral.
La carotide interne droite est occluse, la perfusion de l’ACM droite est assurée par la carotide interne gauche et l’artère communicante antérieure. Les autres lésions traumatiques associent un traumatisme thoracique (multiples fractures de côtes et hémopneumothorax), un hémopéritoine sur une désinsertion mésentérique, et une fracture complexe du cotyle droit sans fuite de produit de contraste. La prise en charge va consister en un drainage thoracique, une laparotomie exploratrice confirmant la désinsertion mésentérique conduisant à une résection de 5 cm de grêle avec anatomose en un temps, une mise en traction du membre inférieur droit. Les suites extra-neurologiques seront sans particularités.
Il est décidé dans un premier temps de n’introduire ni traitement anticoagulant ni traitement antiplaquettaire devant les multiples lésions à potentiel hémorragique. Apparition à J9 d’une hémiparésie gauche avec présence à la TDM cérébrale de lésions ischémiques fronto temporales droites.
L’opacification de la carotide droite confirme l'occlusion complète du vaisseau. On décide alors d’introduire un traitement antiplaquettaire (aspirine 75 mg/j). L’évolution sera ensuite satisfaisante, sans récidive de lésions ischémiques, avec une régression partielle de l’hémiplégie et un état de conscience normal.
Discussion et commentaires :
- Physiopathologie de la dissection traumatique : la dissection des artères cervicales représente 2,5% de l’ensemble des AVC mais jusqu’à 20% chez les sujets jeunes avec une morbidité importante. Le contexte est souvent évocateur : traumatisme crânien, traumatisme cervical, mouvements d’hyperextension/hyperflexion, décélération. La physiopathologie de la dissection fait intervenir deux mécanismes [1] : soit une lésion au niveau des tissus conjonctifs et des vasa vasorum de l’adventice responsable d’un hématome intramural et d’une sténose voire d’une obstruction de la lumière artérielle (grade I de la classification de Borgess, touchant plutôt les artères vertébrales), soit une lésion intimale avec issue de sang dans la paroi pouvant former un anévrysme disséquant ou un thrombus (grade II de Borgess, touchant plutôt les artères carotides).
Dissection grade I de Borgess
Dissection grade II de Borgess
L’ischémie cérébrale d’aval est liée à une sténose voire obstruction de la lumière artérielle ou à des phénomènes d’embols distaux. Les dissections intracrâniennes donnent plutôt des AVC massifs alors que les dissections extracrâniennes donnent des accidents ischémiques transitoires ou des AVC de faible volume.
- Recommandations pour l'imagerie : les dernières RFE de la SFAR sur la prise en charge du traumatisme crânien grave [2] recommandent de compléter le scanner cérébral sans injection avec un angioscanner opacifiant les vaisseaux cervicaux et les artères cérébrales, en particulier devant des facteurs de risque :
- Fracture cervicale
- Déficit neurologique non expliqué par des lésions intracrâniennes
- Syndrome de Claude Bernard-Horner
- Fracture de la face de type Lefort II ou III
- Fracture de la base du crâne
- Lésion des tissus mous au niveau du cou
- Score de Glasgow ≤ 8
En cas de forte suspicion de dissection avec un angioscanner normal, il est recommandé de faire une angioIRM ou une angiographie cérébrale.
- Rôle du Doppler trans-crânien : la réalisation d’un DTC en complément d’une FAST échographie à l’accueil des patients polytraumatisés permet de donner une information rapide sur la qualité de la perfusion cérébrale. Une étude rétrospective a évalué l’intérêt du DTC pour évoquer une dissection carotidienne [3]. Les données du DTC chez 11 patients avec dissection carotidienne ont été comparées avec celles de patients contrôle. Une asymétrie des valeurs avec une diminution de vélocité systolique de 25% par rapport au côté opposé, associé à un IP ≤ 0,8 étaient très en faveur d’une dissection carotidienne. Cet amortissement des flux (démodulation) témoigne d’un flux sanguin provenant de la carotide controlatérale (non disséquée) et passant par l’artère communicante antérieure pour rejoindre l’ACM du côté disséqué.
- Prise en charge thérapeutique : il existe plusieurs axes thérapeutiques dans la prise en charge des dissections cervicales : agents antiplaquettaires (AAP), anticoagulants (AC), thrombolytiques ou neuroradiologie interventionnelle avec mise en place de stents. Il existe une étude prospective publiée en 2015 dans le Lancet [4] comparant AAP versus AC dans le cadre des dissections carotidiennes extra-crâniennes ou vertébrales (étude CADISS) : 250 patients ont été randomisés dans un délai de 7 j après le début de la dissection avec un traitement préventif par AAP ou AC pendant une durée de 3 mois. Il n’y avait pas de différence entre les 2 groupes que ce soit en termes d’accident ischémique ou de décès. Néanmoins, Il n’y avait que très peu d’accidents ischémiques (2%) et le diagnostic de dissection avait été infirmé dans un second temps dans 20% des cas. La thrombolyse pourrait se discuter en cas de prise en charge précoce d’un AVC ischémique mais expose au risque hémorragique dans ce contexte, enfin la mise en place d’un stent est envisageable en cas d’accidents emboliques récidivants malgré un traitement par AAP ou AC [5]
Références Bibliographiques