Faut-il utiliser des PFC dans la prise en charge préhospitalière du choc hémorragique ?
Plasma-first resuscitation to treat haemorrhagic shock during emergency ground transportation in an urban area: a randomised trial.
Moore HB, Moore EE, Chapman MP, McVaney K, Bryskiewicz G, Blechar R, Chin T, Burlew CC, Pieracci F, West FB, Fleming CD, Ghasabyan A, Chandler J, Silliman CC, Banerjee A, Sauaia A
Lancet (London, England), 28 juillet 2018, volume 392, pages 283-291
Commentaire
Par Dr Alexandre Lopez
Introduction :
Le saignement incontrôlé reste une des principales causes de mortalité chez les patients traumatisés sévères. L’administration précoce de plasma semble intéressante pour traiter ou prévenir la survenue d’une coagulopathie liée au traumatisme. Un effet bénéfique de cette attitude sur la mortalité semble avoir été montré par plusieurs études rétrospectives civiles et militaires mais n’a pas été confirmé par des essais prospectifs randomisés. Les auteurs émettent l’hypothèse que la mortalité des patients traumatisés en choc hémorragique réanimés avec du plasma en préhospitalier serait inférieure à celle observée chez des patients réanimés avec du sérum salé isotonique (SSI).
Méthodologie
Essai contrôlé, randomisé, monocentrique (Denver, USA), contre placebo. Critères d’inclusion : > 18 ans ; PAS < 70 mmHg ou PAS entre 70 – 90 mmHg et FC > 108 bpm dont l’origine supposée est une hémorragie. Principaux critères d’exclusion: plaie crânienne isolée par arme à feu, arrêt cardio-respiratoire avant randomisation. Intervention :administration soit de 2 plasmas frais congelés groupe AB (PFC) soit de SSI, initiée sur les lieux du traumatisme. Le critère de jugement principal (CPJ) était la mortalité à J28. L’effectif a été calculé pour mettre en évidence une différence de mortalité de 19% (mortalité attendue dans le groupe contrôle = 25%) : 75 patients étaient nécessaires dans chaque groupe.
Résultats
Du 1/4/2014 au 31/3/2017, 125 patients ont été inclus (parmi 144 patients éligibles) : 65 ont reçu du plasma et 60 du SSI. L'âge médian était de 33 ans (80% d’hommes), le score ISS médian était de 27 (10–38) et 50% des traumatismes étaient fermés. Le délai médian traumatisme-arrivée à l’hôpital était de 28 min pour le groupe plasma et 24 min pour le groupe SSI. La randomisation a généré 2 groupes de patients globalement comparables. Pour 68% des patients du groupe plasma, la transfusion de PFC a dû se poursuivre et se terminer à l’hôpital. La mortalité à J28 n’était pas significativement différente entre les 2 groupes (15% dans le groupe plasma vs 10% dans le groupe témoin, p = 0.37). A l’arrivée à l’hôpital, le pourcentage de patients avec un INR>1.3 était significativement plus important dans le groupe plasma (44%) vs le groupe contrôle (24%, p = 0.02). Les taux d’hémoglobine et la lactatémie à l’arrivée à l’hôpital n’étaient pas différents entre les 2 groupes. Seuls 71 patients (56%) ont eu besoin d’une transfusion de concentrés globulaires (CG) dans les 24 premières heures (NS entre les 2 groupes). L'étude a été arrêtée pour cause de futilité après 144 inclusions.
Discussion et conclusion
Dans cette étude, l’administration de PFC en préhospitalier ne permettait pas de diminuer la mortalité à J28 chez des patients traumatisés suspectés en choc hémorragique.
Les points forts de cette étude sont : la thématique d’actualité ; la validité interne d’une étude prospective, randomisée, contre placebo, toujours difficile à mettre en place en contexte préhospitalier urgent ; les critères d’inclusion simples et le CJP dur ; la décongélation des PFC en 3 minutes.
Les limites de cette étude sont : l’objectif (trop ?) ambitieux de réduction de la mortalité de 19%, dans un trauma system efficace (délai médian de transport préhospitalier = 19 min) et chez des patients de sévérité moyenne (médiane de lactatémie normale à l’arrivée à l’hôpital et la moitié des patients n’ont pas nécessité de CG à H24) ; l’utilisation de la mortalité à J28 comme CJP alors que l’intervention testée se déroule uniquement dans les 30 premières minutes de la prise en charge.
Il est intéressant de noter que cette étude est publiée quasi-simultanément par rapport à l’étude PAMPer (Sperry et al., N Engl J Med 2018;379:315-26), commentée ici, et qui avait montré une diminution significative de la mortalité à J30 dans le groupe de patients transfusés en PFC en préhospitalier par rapport aux patients contrôles (23% vs. 33%, P = 0.03). Les éléments suivants de l’étude PAMPer peuvent expliquer la différence des résultats montrés par ces 2 études : plus de patients inclus (n = 501), temps de prise en charge préhospitalière plus long (40 min en médiane), plus de traumatismes fermés (>80 %), plus de patients nécessitant une transfusion de CG (35% de la cohorte transfusée en CG en préhospitalier), un objectif moins ambitieux en termes de diminution de mortalité (-14%) et une mortalité à J30 plus élevée (30%).
Ces 2 études montrent la faisabilité de l’administration de plasma en préhospitalier. Leurs résultats discordants indiquent que les modalités pratiques de cette attitude et la population cible doivent encore être précisées.
Abstract
BACKGROUND: Plasma is integral to haemostatic resuscitation after injury, but the timing of administration remains controversial. Anticipating approval of lyophilised plasma by the US Food and Drug Administration, the US Department of Defense funded trials of prehospital plasma resuscitation. We investigated use of prehospital plasma during rapid ground rescue of patients with haemorrhagic shock before arrival at an urban level 1 trauma centre.
METHODS: The Control of Major Bleeding After Trauma Trial was a pragmatic, randomised, single-centre trial done at the Denver Health Medical Center (DHMC), which houses the paramedic division for Denver city. Consecutive trauma patients in haemorrhagic shock (defined as systolic blood pressure [SBP] ≤70 mm Hg or 71-90 mm Hg plus heart rate ≥108 beats per min) were assessed for eligibility at the scene of the injury by trained paramedics. Eligible patients were randomly assigned to receive plasma or normal saline (control). Randomisation was achieved by preloading all ambulances with sealed coolers at the start of each shift. Coolers were randomly assigned to groups 1:1 in blocks of 20 according to a schedule generated by the research coordinators. If the coolers contained two units of frozen plasma, they were defrosted in the ambulance and the infusion started. If the coolers contained a dummy load of frozen water, this indicated allocation to the control group and saline was infused. The primary endpoint was mortality within 28 days of injury. Analyses were done in the as-treated population and by intention to treat. This trial is registered with ClinicalTrials.gov, number NCT01838863.
FINDINGS: From April 1, 2014, to March 31, 2017, paramedics randomly assigned 144 patients to study groups. The as-treated analysis included 125 eligible patients, 65 received plasma and 60 received saline. Median age was 33 years (IQR 25-47) and median New Injury Severity Score was 27 (10-38). 70 (56%) patients required blood transfusions within 6 h of injury. The groups were similar at baseline and had similar transport times (plasma group median 19 min [IQR 16-23] vs control 16 min [14-22]). The groups did not differ in mortality at 28 days (15% in the plasma group vs 10% in the control group, p=0·37). In the intention-to-treat analysis, we saw no significant differences between the groups in safety outcomes and adverse events. Due to the consistent lack of differences in the analyses, the study was stopped for futility after 144 of 150 planned enrolments.
INTERPRETATION: During rapid ground rescue to an urban level 1 trauma centre, use of prehospital plasma was not associated with survival benefit. Blood products might be beneficial in settings with longer transport times, but the financial burden would not be justified in an urban environment with short distances to mature trauma centres.
FUNDING: US Department of Defense.